Bordophonia, la culture à la sauce bordelaise

Bordophonia voit le jour à Bordeaux pour proposer des actualités culturelles bien de chez nous, mais pas réservée uniquement aux bordelaises et bordelais.

Ce nouveau média veut exporter Bordeaux et tout ce qu’il y a de beau dans la ville chez tous les lecteurs et lectrices de France et de Navarre. Pourquoi, comment, et par qui ? Happe:n est allé poser ces questions au fondateur du média, Guillaume Fédou.

Qui êtes-vous Guillaume Fédou ?

Journaliste, écrivain et artiste, Guillaume Fédou a passé une grande partie de son enfance et de son adolescence à Bordeaux. Il est par la suite parti vadrouiller à Paris, mais aussi à l’étranger. Le voilà de retour à Bordeaux depuis cinq ans déjà pour s’immerger dans la culture de la ville. Auparavant, on l’a retrouvé en tant que rédacteur en chef de Playboy France, mais aussi sur la plateforme participative Arte Creative aux commandes, avec Jean-François Tatin, de la web série « Touche française », retraçant en 12 morceaux emblématiques une partie de l’histoire de la musique électronique française. Sur le même format, s’en est suivi « French Game », une histoire du rap français. Côté musique, il a plusieurs EPs et clips à son actif. En 2014, il publiait son premier roman : Mon numéro dans le désordre. Les lecteurs et lectrices d’Happe:n ont aussi pu voir son nom s’afficher sur le programme de la Carte Rose en 2017 !

© Pierre Lansac

L’histoire de Bordophonia

Bordophonia est né en l’an 2020 sous l’impulsion de Guillaume Fédou. Construit sous la forme d’une association, c’est un média bordelais qui voit le jour avec pour but de promouvoir le « son bordelais » et de l’exporter.

« Ce n’est pas un média par les bordelais pour les bordelais, on veut exporter la culture de la ville partout en France ! »

Bordophonia n’est pas une rédaction de journal au sens strict du terme. Dans cette association, les membres fournissent du contenu, chacun participe et est polyvalent avec des équivalents de chefs de rubriques. Son nom provient d’un savant mélange de Bordeaux, de francophonie bordelaise, mais aussi de Quadrophonia l’opéra-rock des Who. L’idée est de « faire communauté », de « défendre des valeurs joyeuses, créatives, mais aussi la ville, sans devenir des identitaires ». Bordophonia regroupe et regroupera différents formats : vidéo, site web, photographie, texte, podcast, événement. À la manœuvre, Guillaume Fédou, Antoine Chaput, Elodie Vazeix, Franck Tallon et bien d’autres s’assureront d’exporter notre culture locale. Le but est aussi d’être « pluriels », à l’image de la ville, et de montrer différentes façons d’être bordelais. Bordophonia veut aussi émanciper Bordeaux de la centralisation des médias. La plupart des médias nationaux se concentrent à Paris et étendent leurs antennes partout en France. Bordophonia se veut un média bordelais à l’amplitude nationale : « l’époque ‘Ici Cognacq-Jay à vous les studios’ est révolue, les médias ne doivent plus être centralisés au même endroit ».

La création d’un média comme Bordophonia trottait dans la tête de Guillaume Fédou depuis un moment déjà. Même loin de Bordeaux, il a observé d’un œil les changements de la ville. Une ville auparavant « assez goth, new wave, avec de l’alcool fort qui coulait partout » qui est devenue une « ville blonde, plus sage, plus électro et européenne, peut-être plus chiante et lisse ». Des années de « liberté presque anarchique » ont laissé place à l’accalmie. D’où sont venus ces changements ? Le tramway, la rénovation des quais, des places… tout est devenu plus clair. Guillaume Fédou a cependant perçu cette transformation sans vraiment la vivre pleinement. Il ne regrette pas d’avoir quitté Paris pour Bordeaux et profite d’une nouvelle vague pop qui déferle sur la ville. Bordophonia veut dévoiler au grand public des gens, des lieux et des institutions qui font vivre la ville.

« La ville de Bordeaux est une ville plus grande que sa géographie, à l’image de la France qui est un petit pays qui fait beaucoup parler de lui .»

Le rayonnement français à l’étranger existe bel et bien et passe par « Daft Punk, Brigitte Macron, Dominique Strauss-Kahn ou encore Carla Bruni ». Tout est prétexte à parler de la France. Bordeaux aussi s’exporte de différentes façons : reportages, musique, gastronomie… tout y passe. Cependant, Guillaume Fédou déplore la perte d’habitants que connait Bordeaux depuis quelques années, reléguant la ville au neuvième rang des communes françaises. Les habitants délaissent le centre-ville peu accessible en termes de prix pour se diriger vers les autres communes de la métropole bordelaise qui ne cessent de croître. Malgré tout, Bordeaux reste une ville impressionnante.

« Bordeaux a le sens du spectacle. Qu’on arrive par les quais ou par le pont d’Aquitaine, la ville donne une impression de grandeur, elle est imposante ! Même les toulousains le reconnaissent. »

Une ville qui reste donc majestueuse quoi qu’il arrive. Il y a un savoir-faire et un savoir-être à Bordeaux, une identité toujours en mouvement créée par les gens qui y vivent, qui partent et arrivent.

Pour Guillaume, les gens qui façonnent la ville ne sont pas des « bordelais empaillés ». Certains quartiers sont « hors-jeu » quant à la culture. Le quartier de Caudéran par exemple, mêlant bourgeoisie et classe moyenne, a tendance à « rester dans son jus ». Pas de tramway pour rallier le centre-ville pourtant proche, pas d’évènements culturels et une place très limitée laissée à la rencontre des habitants. Guillaume a en tête le souvenir de sa gardienne caudéranaise qui s’occupait de lui quand il était jeune. Elle qui se rendait plus jeune en centre-ville n’y met plus les pieds, car elle préférait l’époque ou l’ancien tramway pouvait l’y conduire directement. Nombreux sont les quartiers enclavés à Bordeaux qui ne sont desservis que par quelques bus et où la voiture est reine. La culture se concentre en centre-ville : « Il se passe beaucoup de choses intéressantes à Bordeaux ! Des lieux comme Darwin ou le Garage Moderne participent de la culture à Bordeaux. Les cafés aussi, les bars, les établissements de mixologie, la mode vestimentaire… les institutions suivent les modes internationales en y insufflant une touche bordelaise ! ».

Dans la périphérie de la ville, on trouve bien entendu des musées et des événements, mais pas autant que l’on voudrait pour parler de la métropole bordelaise comme d’une métropole culturelle. Dans les villes comme Mérignac ou Bègles, on trouve des institutions culturelles bien ancrées, qui ne sont cependant pas aussi connues que les musées bordelais.

75 ans de politiques culturelles à Bordeaux

Le 3 juillet dernier, le conseil municipal de Bordeaux élisait officiellement Pierre Hurmic, écologiste soutenu par le Parti Socialiste, comme nouveau maire de Bordeaux. Le fief d’Alain Juppé et de Jacques Chaban-Delmas a glissé des mains de la droite bordelaise. Quel constat peut-on faire concernant la politique culturelle bordelaise jusqu’à présent ?

D’après Guillaume, la politique culturelle bordelaise depuis Adrien Marquet (maire de 1925 à 1944) a connu un rythme soutenu de même que des réalisations intéressantes et importantes pour la ville. En fouillant dans le passé de la ville, on peut retracer ces politiques allant de Marquet à Alain Juppé, en passant par Jacques Chaban-Delmas. Le premier, dès l’après-guerre, se voulait précurseur d’une culture hors des sentiers battus. En 1948, il décide de proposer du jazz au Grand Théâtre, ce qui n’était pas au gout de tous, l’institution étant un symbole d’une culture loin d’être populaire. Sous Chaban-Delmas (maire de 1947 à 1995) la ville a connu son lot de réalisations. Un stade, une patinoire, des rénovations et de nouveaux quartiers comme Bordeaux Lac. Chaban-Delmas veut aussi faire rayonner la ville au travers de la culture. Sous son règne, car on ne peut pas utiliser d’autres termes, la ville de Bordeaux voit apparaitre des institutions d’avant-garde. En 1965, la ville voit apparaître le festival Sigma créé par Roger Lafosse et qui, jusqu’en 1996, proposait de la danse, du théâtre, de la musique, ainsi que de nouvelles formes artistiques comme les happenings. En 1973, le CAPC, Musée d’art contemporain, émerge à Bordeaux fondé par Jean-Louis Froment. Une fois encore, on y retrouve un certain gout pour l’avant-garde. Cette institution culturelle majeure en France est alors connue dans le monde entier. Sous Juppé (maire de 1995 à 2019 en passant par son remplaçant Hugues Martin) par la suite, on a assisté à l’émergence de saisons culturelles et d’événements, comme Novart, Agora, le FAB (Festival International des Arts de Bordeaux Métropole) ou le FIFIB (Festival International du Film Indépendant de Bordeaux). Il a aussi participé à la rénovation et à la piétonisation du centre-ville, ce qui a fait du bien à la ville, lui permettant d’élargir les espaces culturels.

« J’ai participé à la saison culturelle Paysages et je dois avouer que je n’ai pas été frappé par la complexité des concepts étudiés. On a parlé de paysages sans chercher d’angles différents, sans prendre en compte différentes approches. La vitesse, nos vies connectées auraient pu rentrer en compte là-dedans mais ça n’a pas été fait. Sans complexifier les angles d’approche on rate une partie de la vision artistique. Les élus doivent mettre des gens qui ont un désir de complexifier l’étude des sujets aux commandes sans se reposer sur des idées trop simplistes. Fabien Robert (premier adjoint au maire et chargé de la Culture durant le dernier mandat d’Alain Juppé, NDLR) a tenté des choses, il a fait ce qu’il a pu avec des conditions et des restrictions ».

L’élection inattendue de Pierre Hurmic en tant que nouveau maire de la ville pourrait bien apporter quelques changements. Depuis des années, Bordeaux vote pour un maire plus qu’un parti. Et pour cause : lors des élections présidentielles, les bordelais avaient tendance à voter PS : « Le vote des municipales s’aligne enfin sur la sociologie bordelaise qui penche plutôt vers une gauche douce ou centriste. Aux législatives, les électeurs ne votaient pas pour les proches de Juppé non plus ! ». Le maire écologiste veut amener la culture au sein des quartiers qui en sont habituellement dépourvus. « Le changement devrait faire du bien à l’opposition au conseil municipal, ça les fera progresser. Nicolas Florian et ses campagnes d’affichages ‘Je ne sers que du Bordeaux dans les restaurants’ ne donnaient pas une image très moderne de la ville. Fabien Robert est jeune, il va fourbir ses armes pour revenir plus fort. Avec les 75 ans de règne de la droite à la mairie, les institutions et les services de la ville se reposaient sur leurs lauriers, sans vraiment innover ». Il faut maintenant éclater la culture présente en centre-ville pour l’envoyer vers l’extérieur et relier le centre à son environnement immédiat. Le fait que Bordeaux fasse partie de la vague verte des élections municipales est une bonne chose d’après Guillaume, car cela donne une bonne et nouvelle image à la ville.

« Chez Bordophonia, on espère qu’Hurmic va apporter une nouvelle ère de la culture en ville et qu’il va réussir à prendre les rênes fasse à des grands acteurs de la culture à Bordeaux qui ne lui feront pas de cadeaux ».

Le « son bordelais », qu’est-ce que c’est ?

Bordophonia

D’après Guillaume Fédou, le « son bordelais » n’est pas seulement une affaire de musique. Dans cette expression protéiforme, on peut aussi intégrer la littérature, la scène gastronomique, la mode, des lieux, l’art en général mais aussi un certain état d’esprit propre à Bordeaux.

« En musique, il y a toujours eu un côté marin. Gamine, Noir Désir, Les Stilettos, Odezenne… ils ont un côté un peu surf, un peu ‘west-coast’ ».

Guillaume attribue cette touche bordelaise à l’attitude et au tempérament des acteurs de la culture de la ville, fiers et indolents. « Une fierté gasconne imbibée de French cockney ».

En musique, le son bordelais est tourné vers le rock. Étonnement, « les codes de la bourgeoise bordelaise sont assez proches des codes du rock : un certain mépris de la normalité ». La scène rock garage à Bordeaux est très active et est rejointe par une scène électro et techno, déjà active dans les années 80. L’identité d’une ville et d’une population se retrouve toujours dans la musique. IAM raconte Marseille, Marquis de Sade raconte Rennes, alors pourquoi s’empêcher de raconter Bordeaux en musique ?

« Il ne faut pas rougir de notre identité et de notre scène musicale, même si elle est moins active de nos jours ! ».

Si la scène musicale est moins active à Bordeaux, c’est aussi le cas dans toute la France. L’effervescence laisse la place à un calme souvent imposé par la mairie et les riverains.

« Les gens n’aiment pas le bruit, la mairie non plus, certains portent plainte contre des coqs… les gens ne sont jamais contents ».

Guillaume ne perd pas espoir car la culture continue de s’installer à Bordeaux. Beaucoup de collectifs musicaux ont débarqué à Bordeaux : l’Orangeade, SUPER Daronne, mais aussi des collectifs disco. D’autres sont là depuis longtemps et restent présents, comme Allez Les Filles et Bordeaux Rock.

La culture est un atout majeur de la ville de Bordeaux qui gagnerait toutefois à être encore développé. Bordophonia sera là pour rendre compte de l’effervescence présente et à venir. Ce nouveau média qui s’inscrit dans une probable nouvelle ère de la culture est à suivre sur YouTube et Facebook (pour le moment) !

© Pierre Lansac