Trente Trente 2025 . Yacine Sif El Islam . Agnus Dei . Happen (c) Pierre Planchenault BD

« ABUS » – Fureur de dire

Avec ce diptyque personnel, Yacine Sif El Islam parle de l’universel. Les récits intimes, faits divers, mythes populaires, anecdotes individuelles et images chorégraphico-cinématographiques qu’il narre et incarne disent la violence de notre monde. Cette brutalité humaine qui traumatise, laisse des cicatrices aussi apparentes qu’invisibles. Cette fureur qui abîme autant qu’elle laisse indifférent. Souvent graves mais aussi désopilants, les deux chapitres de cette pièce “bi-goût” bousculent le plus profond de mes entrailles. Sola gratia et agnus dei fonctionnent comme un oxymore scénique : le plein feu du premier chapitre devient un clair-obscur lugubre dans la seconde, les textes poétiques privilégiés en préambule sont remplacés par le mouvement chorégraphique ensuite, l’habit porté d’abord glisse, laisse alors l’artiste à nu .

Dans sola gratia, les mots scandés frappent pendant que la musique (interprétée en live par Benjamin Ducroq) caresse. Le tapis de danse blanc immaculé que je vois comme l’incarnation de notre Terre, n’est pas une surface vierge : s’y déroulent chaque seconde, chaque minute, chaque heure passées les pires atrocités. Comme une aiguille qui transperce petit à petit un tissu pour parer d’ornements de purs toilages, les textes piquent et laissent une douleur lancinante. Racisme, homophobie, rapports de domination… Nos sociétés sont gangrenées d’injustices, putréfiées d’aberrations. Comme une lame attaquant une chair dense, le phrasé du comédien lacère.

Puis avec agnus dei, les coups achèvent. La “photographie” (car les textes ont laissé place aux images) raconte cette violence entêtante. Et même si un gueuleton improvisé fait office de respiration, la suite est suffocante. Le récit d’un survivant d’Auschwitz dévoré par des chiens nazis, la narration du massacre gazaoui ayant volé tant d’âmes, ou l’interprétation du râle de l’agneau avant sa sacrification : chacune des scènes m’ébranle. 

Agnus dei . Yacine Sif El Iskam . Festival Trente Trente © Pierre Planchenault

© Pierre Planchenault

D’une intensité rare, les deux chapitres d’ABUS bouleversent. Ils nous laissent face à une réalité : en fermant les yeux sur la violence, nous l’autorisons. Nous sommes tous.tes responsables de l’abominable… Alors, comment réparer notre humanité ? 

La gorge serrée, les mots me manquent en sortant de cette double performance. Heureusement, le froid du mois de janvier m’enveloppe et apaise mon cœur tuméfié. Cette anesthésie provisoire laisse passer la douleur mais il faudra agir à la source et soigner cette société vérolée… 

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ABUS I et I : sola gratia et agnus dei
Spectacles vus le 16 janvier au Glob Théâtre dans le cadre du Festival Trente Trente

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