Candide…ou l’Optimisme d’une création réussie !

Après « Don Quichotte », Laurent Rogero, metteur en scène de la compagnie bordelaise Anamorphose s’attaque à un autre grand classique, et pas des moindres, « Candide ou l’Optimisme » de Voltaire.

A l’image d’une conférence, des chercheurs du CNRS se présentent à la salle, plongée dans une ambiance tamisée. Ils proposent de nous retracer l’histoire de Candide grâce à un procédé utilisé par Voltaire lui-même dans ses salons  privés et peu connu de nos jours, la lanterne magique.

Cette lanterne magique est un objet permettant de projeter des images au mur grâce une source lumineuse et des plaques de verre illustrées.  Ce procédé s’est d’ailleurs sophistiqué entre le 18ème et le 19ème au point de générer tout le langage cinématographique, avant même l’invention du cinéma.

Sur scène, trois rétroprojecteurs, reprenant le même principe optique projettent sur un écran unique quelque 130 dessins réalisés par le metteur en scène lui-même.

Trois chercheurs du CNRS nous content l’histoire tels les bonimenteurs, manipulant ces dessins dans une chorégraphie étudiée, le quatrième jouant du clavecin les partitions de Jean-Philippe Rameau,  compositeur et ami de Voltaire.

Une scénographie dépouillée : trois rétroprojecteurs, un écran, un clavecin, ainsi qu’une direction d’acteurs mordante, irrévérencieuse parviennent à nous séduire aisément. Laurent Rogero plonge le spectateur avec finesse, sans crier gare, dans ce conte rocambolesque où le rebondissement est permanent, où l’ironie et la tragédie s’y marient parfaitement.

Résumer « Candide » est impossible. Sachez simplement que tout au long de ce roman, qui est en réalité un conte philosophique, Voltaire critique implicitement l’optimisme aveugle, la religion et ses représentants. Cela donne indéniablement une résonance particulière après les attentats contre Charlie Hebdo.

Dans ce contexte, cette création est vraiment à ne pas manquer ! A nous de cultiver notre jardin !

Le Galet, Pessac, le mardi 3 mars.

Interview de Laurent Rogero.

H : Qu’est-ce qui fut le moteur de cette création ? Candide ? La lanterne magique ? Voltaire ?

LR : Au départ, ce fut Candide. Après avoir monté Don Quichotte, l’idée était de mettre un grand texte non théâtral au théâtre. C’était déjà un pari pour Don Quichotte. Ensuite, j’ai découvert que Voltaire avait une lanterne magique. C’était un divertissement privé. Il jouait à ça au moment où il écrivait Candide.  Mais surtout j’ai découvert l’importance de ce divertissement pour l’époque. Ça on l’a oublié. Il n’y en avait pas seulement dans les salons, il y en avait dans la rue, partout. De plus, cela s’est considérablement sophistiqué entre le 18ème et le 19ème au point de générer tout le langage cinématographique, avant l’invention du cinéma. Le cinéma a eu un tel boom, qu’il a fait oublier « toute cette préhistoire » du cinéma. Au passage, j’ai découvert que Francis Ford Coppola avait eu cette citation : « tout le cinéma est dans la lanterne magique ». J’ai découvert également que la cinémathèque française a conservé 17 000 plaques de la lanterne magique, recto, verso, en mouvements. De nombreuses sont animées avec des tirettes, des doubles vitres : c’est fascinant !

H : C’est un triangle magique Candide , Voltaire et La Lanterne Magique ?

LR : C’est ça. Cela m’a semblé une « porte ». Théâtralement, incarner Candide, Pangloss, Cunégonde, je ne vois pas comment on y arriverait sans cela. C’est de là que le travail a commencé.

H : J’ai le sentiment à la présentation du spectacle d’une véritable B.D. animé ?

LR : C’est de cet ordre-là. Il se trouve que la B.D. animée est le principe de la lanterne magique, telle que cela existait au 18ème siècle. C’était des bandes de verre peintes qui étaient glissées derrière un objectif ; c’est de la bande dessinée animée par le bonimenteur.

H : Tu as fait tous les dessins ?

LR : J’ai fait tous les dessins. Ce fut un gros boulot, un challenge aussi. Il y en a 140, et je ne suis pas dessinateur professionnel. Je travaille avec des dessinateurs de B.D. sur des lectures dessinées qui ont lieu en médiathèque. J’aurais pu faire appel à l’un d’entre eux. Mais cela aurait été économiquement trop lourd. C’était également un travail au long cours, sur un an et demi.

Ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant le plus beau dessin que le dessin « de scène » : avec une certaine fonctionnalité, une temporalité bien particulière qui est celle de la lanterne magique, du conte.

Je savais qu’il fallait les reprendre plusieurs fois au fil des répétitions. Je me suis dit : « Allez, je m’y colle ! »

H : En cours de création, est-ce que le travail sur la lanterne magique a donné sens au spectacle ?

LR : Très vite, j’ai mis en place le procédé technique que j’imaginais, à savoir trois rétroprojecteurs – c’est le même principe optique que la lanterne magique –, orientés sur un seul écran diffusant alternativement les images. J’ai donné 60 brouillons aux comédiens, on a testé et j’ai vu tout de suite que cela fonctionnait ! Ils racontaient l’histoire… Il y a quelque chose qui collait entre la naïveté du procédé, sa dynamique de bandes dessinés avec Candide qui est volontairement naïf. C’est de la fausse naïveté. C’est de l’ironie de la part de Voltaire.

H : « Candide ou l’Optimisme » est un conte foisonnant de situations en tout genre ?

LR : C’est juste abracadabrant comme certains contes à rebondissements. Ce n’est pas très compliqué dramaturgiquement. Il faut trouver le rythme mais il n’y a rien de profond. Les personnages ne sont pas très riches. Ce conte est tout en allusions. Voltaire reste à la surface des situations : d’un coup un tremblement de terre, puis soudain la vérole, l’inquisition, la guerre. C’est très clair que Voltaire s’amuse à lui mettre tous les malheurs du monde à ce Candide. Donc il faut qu’on s’amuse à le faire, qu’on s’amuse à le regarder ! On ne peut dire, lire Candide avec sérieux selon moi. Voltaire écrit sur un ton ironique, sur un ton de conteur sarcastique.

H : A sa sortie, « Candide » a tout de suite le débat. On a dit tout et son contraire.

LR : Effectivement, on ne peut pas prêter à Candide un point de vue très tranché. Le point de vue qui domine, c’est l’ironie, c’est se foutre de la gueule du monde, du monde entier, des ordres : l’armée, l’Eglise, les bourgeois. Ce qui est intéressant, c’est que personne ne peut trancher. Qu’est-ce qu’il veut dire exactement ? Même la conclusion « il faut cultiver son jardin » a été débattue et interprétée. Voltaire reste à la surface et c’est ce que je trouve intéressant. Si ça avait été un discours philosophique, à mon avis, cela n’aurait pas eu sa place sur scène. On n’est pas sur scène pour défendre un point de vue mais une multiplicité de points de vue.

H : Voltaire aimait se moquer de tout, et il le fait dans « Candide » ?

LR : Candide condense l’esprit des Lumières et l’esprit de Voltaire. Il est politique, philosophe. Il est surtout « vachard ». Il se fout de la gueule du monde dans les salons et à cela, il était très fort. Il aurait vendu père et mère pour un bon mot, et il en avait des bons mots !

H : Voltaire est toujours actuel. Il s’est battu pour la liberté de la presse notamment. Les attentats de Charlie Hebdo le rappelle. Ce spectacle a-t-il pris une autre dimension ?

LR : « Candide » est né dans les attentats puisqu’il a été présenté le 9 janvier, les attentats ont commencé le 7. C’est sûr, dès la première et toutes les représentations qui ont eu lieu depuis, ça résonne de manière assez forte. Non seulement Voltaire a été considéré comme le premier intellectuel engagé qui va défendre la liberté d’expression, dénoncer le fanatisme, mais il le fait sur un ton très mordant, de l’humour noir presque. A cet égard, oui, c’est le parrain de l’esprit « Charlie ».

H : Par les voyages entrepris par Candide, se besoin d’aller par-delà les océans, que cherche Voltaire ?

LR : Au 18ème siècle, on est en marche pour la mondialisation. Le commerce triangulaire est en place. Arrivent les nouvelles du monde. Reviennent les carnets de voyage. Les Français s’intéressent à savoir comment on vit ailleurs. On commence à être connecté avec le monde. Le désir est très fort, notamment dans la presse. Et Candide le condense bien à travers ses voyages, la possibilité d’envisager toutes les cultures du monde et les relier les unes avec les autres. Voltaire relie l’Amérique du Sud à l’Europe, relie les religions, les façons de voir le monde. Quand je vois le tour du monde de Candide, c’est ce que je vis lorsque j’allume la télé.

H : Tu parles souvent de « monstre » pour parler du héros. Ce fut le cas pour Don Quichotte. En quoi Candide est-il un « monstre » ?

LR : Ce sont des personnages excessifs. Ils sont décalés. Ils ne sont pas dans le mode de perception normatif des choses. Pour faire simple, Don Quichotte est fou, et « Candide » est tellement candide que cela est de l’ordre de la sottise, à la bêtise. Il n’est pas capable d’appréhender les choses qui lui arrivent comme on le ferait simplement, raisonnablement, et ce qui contribue au fait qu’il ne peut pas éviter toutes les horreurs qui lui arrivent, à la différence de Don Quichotte qui lui les provoquent.

H : Comment s’est articulé le travail entre la technique importante mise en place, l’histoire de « Candide » et le jeu des comédiens ?

LR : C’était complexe. Tout de suite, je me suis dit qu’il fallait organiser le travail en deux temps. Le premier fut celui de la maîtrise de l’outil, inhabituel pour les comédiens pour mieux s’en libérer par la suite. Ils se sont entraînés pour favoriser ce deuxième temps de travail qui est l’acquisition de la liberté du conteur afin qu’il raconte l’histoire comme il le veut, comme il le sent. Et c’est là que la pièce prend sens. C’est avant tout des conteurs qui racontent une histoire, et qui à l’appui de l’histoire qu’ils racontent montrent des images. Et tant pis, si c’est mal manipulé !

H : Tu as mis en scène environ une création par an sans compter tes activités de comédien, de formateur, d’auteur ; prends-tu des vacances ?

LR : J’en prends peu, c’est vrai. J’ai des projets pour des années. J’ai du mal à décrocher !

« Candide ou l’optimisme », Voltaire – Laurent Rogero

A voir du 25 mars au 3 avril au TnBA