Milos, ancien tenancier du mythique bar-concerts El Inca, revient souffler le chaud sur la scène locale avec des projets inédits et une ambition toujours aussi altruiste : faire vivre la musique à Bordeaux. Lui aussi, chanteur-auteur-compositeur exprime sa poésie folk à travers un quatrième album autoproduit, qui sort ces prochains jours.
Peux-tu nous conter l’histoire de El Inca qui fût un lieu mythique de la musique à Bordeaux ?
En 1999, je travaillais à la Calle Ocho en tant que serveur ; c’est là-bas que j’ai fait toutes mes cordes dans le milieu de la nuit. Mes parents, qui vivaient au Moyen Orient, m’ont rejoint sur Bordeaux pendant cette période. Forcément, la question du travail est vite arrivée pour eux… Ma mère a trouvé un local disponible « rue sainte colombe » et a voulu entreprendre une activité dans la restauration. Elle avait tenu des restaurants routiers quelques années vers Tarbes, donc se lancer dans cette activité paraissait naturel ! Moi, j’avais tout juste vingt ans à cette époque, j’avais déjà arrêté la fac donc j’étais branché par l’opportunité ! Un jour, mon père m’a lancé : « Et si on montait une peña ? » ; en espagnol, la peña c’est un lieu où on mange, on écoute de la musique, on fait venir des artistes … Une guinguette en d’autres termes ! Le seul souci, c’est qu’on n’avait pas la licence IV au départ et la cave n’était pas aux normes. Du coup, on venait à l’Inca pour manger de la nourriture péruvienne (d’où le nom du lieu !) et pour écouter des concerts de musique latino ! En sortant de la Calle Ocho, j’étais calé sur le domaine !
Quelques temps plus tard, on a enfin obtenu la fameuse Licence IV, la cave a été mise aux normes, mon père a repris ses quartiers dans l’ingénierie d’avions et ma mère dans le domaine social, et j’ai continué a mené la barque tout seul ! Du jour au lendemain, le restaurant El Inca est devenu un bar concert, je ne gérais pas l’aspect cuisine ! Depuis ce jour, ça a été l’effervescence en matière de concerts. Je faisais venir trois groupes par soir en moyenne et tous les soirs ! Je m’occupais de tout : la programmation, la communication, je collais mes affiches, je tractais … Les soirs de concerts, c’était sportif : je voguais entre la cave et le bar, tout en faisant à manger aux artistes, (j’adorais ça et eux aussi se régalaient avec mes pâtes aux saucisses). Je voyais à peine les concerts … C’était intense mais je recommencerais si ça se présentait ! D’ailleurs, ça me trotte tellement que j’envisage de réinvestir un autre lieu unique pour réitérer l’aventure, courant 2016.
En 2008, El Inca, l’Apollo et le Santosha ont eu un coup de pression par rapport aux nuisances sonores et à la restructuration de la place Fernand Laffargue. À contre cœur, j’ai vendu El Inca au propriétaire du Cafecito. El Inca est devenu le PDG (« Pharmacie de Garde »), un bar-concerts également. Du coup, j’ai fait quelques pas et je me suis retrouvé à l’Apollo où j’ai été responsable pendant six ans.
Il se dit que beaucoup d’artistes, avec une belle notoriété aujourd’hui, sont montés la première fois sur scène à l’Inca. De qui s’agit-il ?
Odezenne a fait sa première date à l’INCA ! On s’est croisé l’autre jour et ils n’ont pas hésité à me le rappeler !
Fránçois and the Atlas Mountains a fait une de ses premières dates bordelaise, ainsi que Tender Forever.
Bien sûr, j’ai beaucoup accueilli le Collectif Iceberg, c’était la grand messe, des soirées hors du commun avec Botibol, Petit Fantôme, Le Pingouin, JC Satàn …
Disons que je n’avais pas vraiment de fil conducteur pour ma programmation, je marchais au coup de cœur ! Venant du Moyen Orient, je n’avais pas encore connaissance de tous ces groupes, j’ai formé mon oreille sur le tas. Je recevais des tonnes de mails de demandes et même si je faisais des concerts tous les soirs, je ne pouvais malheureusement pas programmer tout le monde …
Tu as donc connu les prémices de François and The Atlas Mountains ou Odezenne ; que penses tu de leur parcours aujourd’hui ?
De toute façon ils étaient bons dès le début, une grosse carrière les attendait. Après ils n’ont pas pris le même chemin : Odezenne est resté en Autoproduction, François and The Atlas Mountains travaille avec Domino Records depuis 2011.
Tous les deux ont vraiment assuré. Je ne cours pas derrière leurs actualités mais je tombe forcément dessus, ils sont partout : en une de magazines, à la télévision …
As-tu gardé contact avec tous ces artistes ?
Souvent, je croise des artistes qui me disent « J’ai joué chez toi ! » mais j’ai du mal à me rappeler de tout le monde, des centaines de groupes ont joué à l’Inca. Mais effectivement, il y en a beaucoup que je revois, avec qui je travaille aujourd’hui : ils viennent enregistrer au studio et sont sur La Cassette (cf : la suite de l’article). Par exemple, Dasha, Guaka, Kim… Je n’ai pas privilégié ces groupes parce qu’ils ont joué à l’Inca, la reprise de contact a été très spontanée.
Raconte nous un souvenir marquant de ces années à El Inca ?
Garto faisait des photos dans les chiottes en noir et blanc, et Toums tirait le portrait des groupes dans la cuisine (on avait exposé ses photos).
Sinon, en termes de concert, j’ai beaucoup été marqué par Volt. Un groupe de rock qui tapait fort mais qui sonnait vraiment bien. Ce soir là, malheureusement, il y avait trois clients, j’étais dégouté. L’avantage c’est que j’ai pu assister au concert, pour une fois !
Sinon, j’ai pris une grosse claque devant Adrian Orange, un chanteur d’indie folk. Il était tout jeune mais déjà un sacré bonhomme, c’était mortel !
Tamara Williamson m’a aussi beaucoup touchée. C’est une canadienne qui s’autosample (voix et/ou guitare) jusqu’à donner l’illusion qu’un groupe complet est sur scène.
Et sinon, quelques autres souvenirs de beaux concerts : Jeffrey Lewis que Martial de Total Heaven avait fait jouer, Akosh S. Unit, Mr. Le Directeur, Scout Niblett, Mademoiselle K, Milgram…
Trois mots pour résumer des souvenirs ?
« Schloff » : c’était le nom de mon planteur qui était pas mal renommé. Son nom a été trouvé par Rico d’Alvarez du collectif Musique Libre.
« Poupées vaudous » : Le jour de l’inauguration de la cave, c’était Noel Patterson qui jouait. Un mec avait exposé des poupées vaudous sur la terrasse de l’Inca, accrochées avec des fils barbelés. C’était assez gore, les passants s’interrogeaient sur ce « no man’s land ».
« Pâtes aux saucisses » : elles ont toujours fait leur effet sur les artistes !
Depuis la fermeture de El Inca, que penses tu de la nouvelle vie du 28 rue Sainte Colombe ?
Aujourd’hui c’est un bar qui s’appelle La Cueva. C’est pas mal, et en plus, c’est le retour de l’esprit latin, ça rappelle un peu l’ambiance de l’Inca. Du jour au lendemain, ce bar était blindé. Espérons qu’ils investissent la cave aussi bien qu’ils ont su investir la terrasse ; pour l’instant il n’y a pas eu de concert je crois, mais c’est probablement prévu pour les mois à venir.
Où en es tu aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je m’occupe de La Cassette, je gère le studio d’enregistrement Kitchen et je travaille sur mon projet musical : Milos Unplugged.
Qu’est ce que www.lacassette.org ?
La Cassette est un nano-label, qui se matérialise par un site internet, né de la fusion de ces trois projets. Il a pour ambition de promouvoir l’art et la culture, de créer des échanges et d’être un support au contenu participatif. La Cassette soutient les artistes par le biais de ce tremplin : le site répertorie les artistes alternatifs que j’ai sélectionné et renvoie les internautes vers leurs Bandcamp afin qu’ils achètent leurs disques. Le nom « La Cassette » c’est parce que j’envisage d’enregistrer mes compilations sur des cassettes audio, avec, bien sûr, un code de téléchargement intégré dans le boitier.
Parle nous de Kitchen Records …
Kitchen est mon studio d’enregistrement, situé au 55 rue Galin (quartier Bastide) où les artistes peuvent venir enregistrer leurs projets musicaux, leurs démo ou leur album en échange de donation, et payer en fonction de leurs moyens.
Tu as déjà enregistré 4 albums, dont le dernier né sort ce mois-ci. À quoi ressemble-t-il ? De quoi parle-t-il ?
Après quatre ans d’absence, j’ai voulu me refaire : Milos se réveille ! C’est pour ça que cet album s’appelle AWAKENING, il a été entièrement financé grâce aux 110 donateurs sur la plateforme de crowdfunding Kiss Kiss Bank Bank.
C’est un album avec quatre ambiances : folk indé, rock emo, world music et rock « teenager ».
Les thématiques sont variées. Le titre « God spell » parle d’exclusion, de difficultés à communiquer. J’y fais référence, notamment, aux malentendants. Pour illustrer ce titre, j’ai fait appel à l’association Rythme’n’Signes qui associe ma musique au langage des signes dans un clip qui est une jolie fenêtre ouverte au monde des malentendants. « The ending » parle de la fin du monde, des guerres et des bombardements qui ont toujours lieu quelque part dans le monde ; pour le coup, j’ai été assez visionnaire… « Wall oh shame » fait allusion aux frontières. J’aborde beaucoup de sujets qui vont de la compassion à la guerre, en passant par les croyances, et des thèmes beaucoup plus intime comme l’amour. En règle générale, je me laisse porter par mon inspiration, sans m’imposer de fil conducteur.
Je vais bientôt présenter cet album lors d’une Release Party le Vendredi 27 Novembre à l’iBoat avec des amis de la Cassette. Ca promet d’être une belle soirée, pleine de surprises et de poésie.
Avec quels artistes collabores-tu ?
Pour mon 4ème album, j’ai collaboré avec le très talentueux groupe Cocktail Bananas, mon « backing band », avec Shekinah Gatto (Saxo / voix, Blue fish) et Thomas Drouart (clavier), deux personnalités issues du monde du Jazz. Mais aussi avec Mathias Agbokou, maître en percussions traditionnelles du Benin et j’ai retrouvé Mathieu Hauquier (qui a joué avec Petit Fantôme, Botibol, Fránçois and the Atlas Mountains…).
L’hypnose, pour te faire parler !
Si on te dit « personnalité marquante à Bordeaux », tu penses à qui ?
Richard De La Cruz, fondateur de la Calle Ocho en 1996.
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